connaissance vs Connaissance
Publié : 08 juil. 2017, 16:56
Prenons les Inuits, ou Esquimaux. L'anthropologie, qui est une branche de la science, étudie leur mode de vie, leurs mœurs, leurs particularités physiques, leur langage, etc. Elle va constituer au fil du temps un corpus de données qui représentera la somme de nos connaissances sur le peuple inuit. Ce seront des connaissances scientifiques, intellectuelles, qui pourront être utilisées par tous ceux qui s'intéressent aux Inuits, et que les anthropologues étofferont sans doute à l'avenir.
Supposons maintenant que je sois un Inuit. Je n'ai alors pas besoin de l'anthropologie pour tout savoir sur mon propre peuple, puisque j'en ai une connaissance directe, vécue, puisque je possède déjà la somme de toutes les connaissances que les anthropologues pourront jamais réunir sur les Inuits.
Cet exemple permet de faire la distinction entre la connaissance intellectuelle, qui résulte de l'observation et de la collecte d'informations, et peut être sujette au doute (en tant qu'anthropologue j'ai pu mal interpréter tel comportement des Inuits), et la Connaissance directe, absolue, dénuée de tout doute (il ne fait aucun doute que je sois un Inuit et que je connaisse mon peuple). L'objectif de la science est la connaissance, tandis que celui de la spiritualité est la Connaissance. Elles partagent donc fondamentalement la même ambition, qui est de connaître. Il existe pourtant une différence majeure entre leurs approches respectives : la science utilise le mental, siège de la pensée, donc le raisonnement et la logique, mais aussi les instruments et les expériences que l'intellect a conçus, alors que le principe même de Connaissance exclut tout recours à un raisonnement et à des outils (je n'ai pas besoin de formuler des théories ni d'utiliser des instruments pour connaître le peuple auquel j'appartiens).
Du moins est-ce là en théorie l'idée qu'on doit se faire de la Connaissance. Car dans les faits les choses sont très différentes : dans l'Occident chrétien, spiritualité est synonyme de religion, et la religion chrétienne est fondée sur des dogmes, ou doctrines. Un dogme est une affirmation considérée comme fondamentale, incontestable et intangible par une autorité religieuse. Le mot vient du verbe grec dokein, qui signifie "avoir une opinion, penser, croire". La Commission théologique internationale le définit comme une doctrine par laquelle l'Église propose de façon définitive une vérité révélée. Par ailleurs, le dogmatisme est à l'origine une philosophie de la connaissance selon laquelle il est possible à l'homme d'atteindre une vérité absolue au moyen de la raison. Tout ceci nous amène à concevoir la religion comme une science, la science de Dieu, ce qui est d'ailleurs le sens du mot théologie. La religion "scientifique", fondée sur la raison, a pour mission de définir ce qu'est Dieu, la nature de ses intentions, la manière de le vénérer comme notre maître et sauveur, et la conduite qu'il convient d'adopter pour ne pas encourir ses foudres. Exactement comme l'anthropologue se fixe pour but de définir ce qu'est un Inuit, sauf que lui sait de quoi il parle.
Il n'est donc guère étonnant que le scientifique rejette les conclusions de la religion sur la nature de la Vérité, car il constate qu'elle met en œuvre une méthodologie semblable à la sienne pour aborder un sujet d'étude qui échappe à la raison et à toute observation. Il en conclut que la spiritualité est un domaine d'étude voué par nature à l'échec, ce qui la prive de toute possibilité de parvenir à des conclusions acceptables d'un point de vue scientifique. Mais il a tort. Il a tort parce qu'il ne sait pas qu'en abordant la question de la Vérité au moyen de la raison, la religion s'est définitivement séparée de la spiritualité, et que ce faisant elle a envoyé aux oubliettes la notion de Connaissance. Pourtant, à l'origine de toute religion il y a un homme qui possédait la Connaissance, qu'il a tenté de transmettre à ses contemporains ; mais son message était si peu compréhensible qu'il n'a pu être (mal) compris qu'après avoir été conceptualisé, traité par l'intellect, d'où sa transformation finale en "science". En effet, comment un Inuit parviendrait-il à transmettre ce que représente le fait d'être un Inuit ? Il pourrait par exemple expliquer qu'il mange du phoque, qu'il habite un igloo, qu'il se déplace en traîneau, etc., mais tout ceci ne constituerait que des informations sur son état, ça n'aboutirait pas à la transmission de cet état. Celui qui l'écouterait et apprendrait tout sur les Inuits ne deviendrait pas pour autant lui-même un Inuit ! Or, parvenir à transmettre ce qu'il est, par le biais d'une sorte de marche à suivre, ou dans son cas d'une ascèse, est la mission que l'homme possédant la Connaissance s'était fixée. En disant de lui-même qu'il est le Fils de Dieu, qu'il est venu pour nous sauver, qu'il fait des miracles, etc., il nous a permis de transformer la Connaissance en connaissance, c'est-à-dire de faire de la science.
Si la connaissance est l'ensemble des informations dont nous disposons à une époque donnée sur le monde, si c'est un savoir intellectuel, la Connaissance est pour sa part un état de conscience dans lequel toute chose est connue. La spiritualité représente par essence la quête de cet état. Son association au divin signifie que l'état de conscience ultime, appelé illumination, est le plus proche qui soit de la Source de tout ce qui existe, ce qu'on a appelé Dieu avec les conséquences fâcheuses qu'on connaît. Il s'ensuit que l'homme qui y parvient devient omniscient, il possède une connaissance directe et absolue de l'existence et de l'univers, ce qui exclut toute notion de doute. Une spiritualité fondée sur la raison, comme elles le sont pratiquement toutes, est vouée à l'échec, car l'état en question n'est pas plus le fruit d'un raisonnement que ne l'est le fait de se sentir Inuit. C'est ce qui fait de la quête spirituelle un domaine où l'échec est pratiquement assuré, tant la compréhension de ce qu'elle représente et implique, au moyen du seul outil dont nous disposons pour cela, c'est-à-dire la pensée, est difficile. C'est également la raison pour laquelle les croyances religieuses sont aussi répandues : on veut bien admettre qu'il existe quelque chose de plus grand que nous, en l'occurrence Dieu, on a entendu dire que méditer permet d'atteindre un certain état de bien-être, on désire parvenir à l'illumination ou à je ne sais quoi, mais on est par ailleurs convaincu de ne pouvoir atteindre notre but qu'en faisant allégeance à un pouvoir supérieur à notre propre volonté, qui serait représentatif de l'idéal vers lequel nous sommes tourné et qui en détiendrait les clés. Ce peut être celui d'un prêtre, d'un gourou, d'un archange, de quelque entité invisible telle qu'un Être de Lumière. Nous pratiquons donc généralement une spiritualité dénuée de toute compréhension, dépourvue d'intelligence, uniquement fondée sur des croyances et les vertus qu'on leur prête ou dont on nous a certifié qu'elles étaient parées. Et tout ceci ne nous mène nulle part.
Supposons maintenant que je sois un Inuit. Je n'ai alors pas besoin de l'anthropologie pour tout savoir sur mon propre peuple, puisque j'en ai une connaissance directe, vécue, puisque je possède déjà la somme de toutes les connaissances que les anthropologues pourront jamais réunir sur les Inuits.
Cet exemple permet de faire la distinction entre la connaissance intellectuelle, qui résulte de l'observation et de la collecte d'informations, et peut être sujette au doute (en tant qu'anthropologue j'ai pu mal interpréter tel comportement des Inuits), et la Connaissance directe, absolue, dénuée de tout doute (il ne fait aucun doute que je sois un Inuit et que je connaisse mon peuple). L'objectif de la science est la connaissance, tandis que celui de la spiritualité est la Connaissance. Elles partagent donc fondamentalement la même ambition, qui est de connaître. Il existe pourtant une différence majeure entre leurs approches respectives : la science utilise le mental, siège de la pensée, donc le raisonnement et la logique, mais aussi les instruments et les expériences que l'intellect a conçus, alors que le principe même de Connaissance exclut tout recours à un raisonnement et à des outils (je n'ai pas besoin de formuler des théories ni d'utiliser des instruments pour connaître le peuple auquel j'appartiens).
Du moins est-ce là en théorie l'idée qu'on doit se faire de la Connaissance. Car dans les faits les choses sont très différentes : dans l'Occident chrétien, spiritualité est synonyme de religion, et la religion chrétienne est fondée sur des dogmes, ou doctrines. Un dogme est une affirmation considérée comme fondamentale, incontestable et intangible par une autorité religieuse. Le mot vient du verbe grec dokein, qui signifie "avoir une opinion, penser, croire". La Commission théologique internationale le définit comme une doctrine par laquelle l'Église propose de façon définitive une vérité révélée. Par ailleurs, le dogmatisme est à l'origine une philosophie de la connaissance selon laquelle il est possible à l'homme d'atteindre une vérité absolue au moyen de la raison. Tout ceci nous amène à concevoir la religion comme une science, la science de Dieu, ce qui est d'ailleurs le sens du mot théologie. La religion "scientifique", fondée sur la raison, a pour mission de définir ce qu'est Dieu, la nature de ses intentions, la manière de le vénérer comme notre maître et sauveur, et la conduite qu'il convient d'adopter pour ne pas encourir ses foudres. Exactement comme l'anthropologue se fixe pour but de définir ce qu'est un Inuit, sauf que lui sait de quoi il parle.
Il n'est donc guère étonnant que le scientifique rejette les conclusions de la religion sur la nature de la Vérité, car il constate qu'elle met en œuvre une méthodologie semblable à la sienne pour aborder un sujet d'étude qui échappe à la raison et à toute observation. Il en conclut que la spiritualité est un domaine d'étude voué par nature à l'échec, ce qui la prive de toute possibilité de parvenir à des conclusions acceptables d'un point de vue scientifique. Mais il a tort. Il a tort parce qu'il ne sait pas qu'en abordant la question de la Vérité au moyen de la raison, la religion s'est définitivement séparée de la spiritualité, et que ce faisant elle a envoyé aux oubliettes la notion de Connaissance. Pourtant, à l'origine de toute religion il y a un homme qui possédait la Connaissance, qu'il a tenté de transmettre à ses contemporains ; mais son message était si peu compréhensible qu'il n'a pu être (mal) compris qu'après avoir été conceptualisé, traité par l'intellect, d'où sa transformation finale en "science". En effet, comment un Inuit parviendrait-il à transmettre ce que représente le fait d'être un Inuit ? Il pourrait par exemple expliquer qu'il mange du phoque, qu'il habite un igloo, qu'il se déplace en traîneau, etc., mais tout ceci ne constituerait que des informations sur son état, ça n'aboutirait pas à la transmission de cet état. Celui qui l'écouterait et apprendrait tout sur les Inuits ne deviendrait pas pour autant lui-même un Inuit ! Or, parvenir à transmettre ce qu'il est, par le biais d'une sorte de marche à suivre, ou dans son cas d'une ascèse, est la mission que l'homme possédant la Connaissance s'était fixée. En disant de lui-même qu'il est le Fils de Dieu, qu'il est venu pour nous sauver, qu'il fait des miracles, etc., il nous a permis de transformer la Connaissance en connaissance, c'est-à-dire de faire de la science.
Si la connaissance est l'ensemble des informations dont nous disposons à une époque donnée sur le monde, si c'est un savoir intellectuel, la Connaissance est pour sa part un état de conscience dans lequel toute chose est connue. La spiritualité représente par essence la quête de cet état. Son association au divin signifie que l'état de conscience ultime, appelé illumination, est le plus proche qui soit de la Source de tout ce qui existe, ce qu'on a appelé Dieu avec les conséquences fâcheuses qu'on connaît. Il s'ensuit que l'homme qui y parvient devient omniscient, il possède une connaissance directe et absolue de l'existence et de l'univers, ce qui exclut toute notion de doute. Une spiritualité fondée sur la raison, comme elles le sont pratiquement toutes, est vouée à l'échec, car l'état en question n'est pas plus le fruit d'un raisonnement que ne l'est le fait de se sentir Inuit. C'est ce qui fait de la quête spirituelle un domaine où l'échec est pratiquement assuré, tant la compréhension de ce qu'elle représente et implique, au moyen du seul outil dont nous disposons pour cela, c'est-à-dire la pensée, est difficile. C'est également la raison pour laquelle les croyances religieuses sont aussi répandues : on veut bien admettre qu'il existe quelque chose de plus grand que nous, en l'occurrence Dieu, on a entendu dire que méditer permet d'atteindre un certain état de bien-être, on désire parvenir à l'illumination ou à je ne sais quoi, mais on est par ailleurs convaincu de ne pouvoir atteindre notre but qu'en faisant allégeance à un pouvoir supérieur à notre propre volonté, qui serait représentatif de l'idéal vers lequel nous sommes tourné et qui en détiendrait les clés. Ce peut être celui d'un prêtre, d'un gourou, d'un archange, de quelque entité invisible telle qu'un Être de Lumière. Nous pratiquons donc généralement une spiritualité dénuée de toute compréhension, dépourvue d'intelligence, uniquement fondée sur des croyances et les vertus qu'on leur prête ou dont on nous a certifié qu'elles étaient parées. Et tout ceci ne nous mène nulle part.